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Beauté

Assiste-t-on à la fin du règne du cheveu lisse ?

Alors que le lisse s’impose comme la norme de beauté depuis plus d’un siècle, le confinement a bouleversé la relation de nombreuses personnes à leurs cheveux naturels. Grâce aux réseaux sociaux, des mouvements de libération capillaire à l’image du nappy ont encore plus d’impact sur la jeune génération qui souhaite exprimer son identité à 100 %.

C’est LA tendance capillaire du moment : la permanente, pourtant coiffure favorite de nos aînées, squatte la chevelure des cool kids à la recherche de boucles bien définies. Sur TikTok, un des challenges beauté les plus reproduits du moment consiste à laisser boucler ses cheveux après les avoir lavés. Le hashtag #CurlyHair cumule ainsi pas moins de 8 milliards de vues sur la plateforme. 

La pandémie et les réseaux sociaux ont incité beaucoup d’utilisateur.rice.s à tester chez soi des coiffures à réaliser sur cheveux naturels. Conseils de soins et nouveaux produits – notamment à destination des Afro-Descendants – ont réussi à percer dans ce contexte d’enfermement. Après des décennies de règne, le cheveu lisse et plat ne serait-il plus l’uniforme capillaire favori des jeunes filles à la recherche de validation sociale ? 

Le lisse : une norme de beauté raciste

Vous connaissez la chanson : “la mode est un éternel recommencement”. Si les tendances évoluent de façon cyclique, une caractéristique beauté a su traverser les années : le cheveu lisse. De la coupe garçonne des années 20 aux longs cheveux à la Cher dans les années 70 jusqu’aux célébrités des années 90 et 2000 comme Jennifer Aniston, ce type de coiffure est considéré comme l’idéal capillaire depuis plus d’un siècle. À chaque relooking dans les teen movies ayant bercé nos années collège et lycée, c’est la même rengaine : les chaperonnes se munissent d’un fer à lisser pour “dompter” la chevelure du personnage à “embellir”.

Pourtant, jusqu’au XIXe siècle en Europe, la chevelure bouclée et massive était un attribut désiré par les femmes, au point qu’on “bouclait même les perruques”, rappelle Élisabeth Azoulay dans LExpress. L’autrice de 100 000 ans de beauté explique même que “le cheveu lisse et détaché était un signe de deuil”. 

C’est en parallèle de la colonisation de l’Afrique et du développement de l’esclavage que le cheveu lisse va devenir la norme, en opposition au cheveu texturé. Dès le XIXe siècle, on observe l’impact de ce diktat sur les femmes noires à la chevelure crépue qui “s’imposent des tortures horribles en se coiffant pour la tirer de façon à laisser croire qu’elle est soyeuse”, témoignait en 1842 l’abolitionniste Victor Schœlcher.

Lise Umubyeyi, 28 ans, a créé le site Cheveux Afro Culture, qui retrace la diabolisation du cheveu afro dans le cadre de son mémoire de master en communication multilingue. “En arrivant dans les Amériques et les Caraïbes, on rasait les cheveux aux personnes noires, officiellement pour des raisons sanitaires mais surtout pour brider leur identité et les rendre esclaves, donc objets. […] Leur seule norme de beauté, c’était la femme et l’homme blancs qui disaient que leurs cheveux n’étaient pas beaux, pas propres. Alors, pour correspondre au mieux au type de beauté caucasien, elles ont commencé à trouver des méthodes pour se lisser les cheveux. D’abord avec de la soude, puis le peigne chauffant et enfin les produits chimiques standardisés qui sont encore disponibles aujourd’hui, bien qu’ils soient très néfastes pour la santé.”

Une aliénation capillaire des femmes noires depuis leur plus jeune âge

Cet impératif du lisse a aliéné les femmes afro-descendantes jusqu’à nos jours. Les techniques de défrisage sont dangereuses pour la santé capillaire, comme en témoigne Lise : “À la fin de l’école primaire, on m’a enfin permis de me défriser les cheveux. Avec ma sœur, on le voulait car ça faisait grande fille. Ma mère a craqué. Elle n’était pas pour car c’est très invasif pour un cuir chevelu d’enfant ou même d’adulte. […] Ça me faisait des croûtes sur le crâne !”

À son arrivée en France, à 13 ans, elle confie avoir subi des moqueries sur ses cheveux et avoir continué de les défriser. “Je me souviens que, au collège, que ce soit dans la communauté afro ou caucasienne, le cheveu lisse était indispensable. Toutes mes copines blanches venaient en cours en étant paniquées qu’il pleuve parce qu’elles allaient avoir des frisottis. C’était la norme.”

Dix ans après, toujours le même refrain. Kayliah Balou (@kaaymbl), influenceuse de 18 ans, a subi le même traitement que Lise : “Il y a eu une période, pendant trois ans au collège, où je me lissais les cheveux tous les jours – même si je ne les ai jamais défrisés. Je recevais beaucoup de remarques des autres qui me disaient que j’étais mieux comme ça. C’était plus profond que juste une mode. Ça me permettait de beaucoup mieux m’intégrer avec les autres, éviter les remarques racistes et qu’on voit moins ma différence. […] C’était éprouvant de se conformer aux normes.” Un diktat condamné comme une énième facette du racisme par le mouvement nappy, qui prône la libération capillaire avec un retour à une chevelure naturelle.

Le mouvement nappy : la libération capillaire propulsée par les réseaux sociaux

Le mouvement nappy fait écho aux premiers combats menés dans les années 60 et 70 par les militant.e.s afro-américain.e.s ayant popularisé la coupe afro, à l’image d’Angela Davis – pour ne citer qu’elle. “Il existe dans ces manipulations des cheveux une dimension anticoloniale et antiraciste de retournement du stigmate : dire ‘Black is beautiful’ implique la revalorisation non seulement d’une couleur de peau, mais de toutes les caractéristiques physiques censées caractériser le Noir, dont les cheveux”, analyse l’anthropologue Ary Gordien dans son essai La coupe afro : une simple histoire de cheveux ?. Ce mouvement se diffuse petit à petit dans le monde entier, grâce à l’appui de célébrités comme Solange Knowles ou Lupita Nyong’o et aux réseaux sociaux, permettant une véritable libération sociale.

“Comme toutes les filles qui ont mon type de cheveux, ça n’a pas toujours été facile, mais j’ai eu la chance de traiter mes cheveux assez tôt”, nous raconte Sirine Liman (@namsirine), une influenceuse de 17 ans. “J’ai commencé à accepter mes cheveux au début du collège alors qu’avant, j’étais passée par des défrisages, lissages… À un moment, j’ai réalisé que ce n’était pas ma nature de cheveux. J’ai donc commencé à me renseigner et suivre le mouvement nappy grâce aux youtubeuses. La plupart des filles qui ont mon type de cheveux les ont d’ailleurs acceptés grâce à ce mouvement !”

Même constat pour Kayliah Balou, très inspirée par les influenceuses militant pour la libération capillaire. Aujourd’hui, les deux filles prennent le relais et partagent régulièrement leurs routines et produits favoris à leurs dizaines de milliers d’abonnés. Ces revendications dépassent aussi les écrans grâce à des espaces militants comme Sciences Curls, un safe space afroféministe où les étudiant.e.s de Sciences Po peuvent “aborder en toute sûreté les problèmes liés aux cheveux texturés”, nous résume une de ses membres, Lucrèce Zamba, 21 ans. “On part du prisme du cheveu pour aborder un nombre de problématiques assez large. […] C’était inspirant pour moi de voir que d’autres personnes à Sciences Po s’intéressaient à ça.” Ateliers soins, conférences, podcasts, débats… L’association, parfois incomprise à ses débuts, a finalement trouvé sa place dans un milieu où ces voix sont rarement écoutées. 

Évolution des normes de beauté : un espoir réaliste ?

“Avec le confinement et sans les coiffeurs, beaucoup de gens ont dû s’occuper de leurs cheveux eux-mêmes, analyse Lucrèce Zamba, Ça a dû changer la relation qu’avaient certaines personnes avec leurs cheveux. Moi, par exemple, j’ai commencé à me tresser toute seule, chose que je ne faisais pas auparavant. […] Que ce soit Instagram ou YouTube, je me suis tournée vers des personnes pour apprendre de nouvelles techniques car j’avais le temps de faire des recherches.”

De YouTube à TikTok, les tutos pour cheveux texturés ou bouclés se sont multipliés lors de l’année 2020. Plusieurs marques de haircare se sont retrouvées sur le devant de la scène comme Shea Moisture, adoubée par TikTok, ou Les Secrets de Loly, qui cumule 117 000 abonnés sur Instagram et a multiplié son chiffre d’affaires par cinq en seulement un an. Ces produits sont pourtant difficiles d’accès pour les Afro-Descendantes, qui doivent souvent se rendre dans des magasins spécialisés.

“J’espère qu’à l’avenir, il y aura plus d’accès aux soins pour les cheveux afros car ça concerne tout de même 20 % des personnes en France !”, déplore Kayliah Balou. “Lors d’un voyage de presse pour une marque avec des professionnels, j’ai remarqué ma différence. Au moment de passer à la coiffure, la production n’avait pas de mood board pour moi. J’ai dû amener mes propres produits pour me coiffer et ma perruque pour éviter qu’on me lisse les cheveux. Aujourd’hui, dans la mode, les mannequins noires sont obligées de se raser la tête car on ne sait pas s’occuper de leurs cheveux. Il y a encore des progrès à faire.”

Au sein même du mouvement nappy, les personnes ayant “des boucles bien définies” sont davantage mises en valeur sur les réseaux sociaux car leur type de cheveu est considéré comme “en bonne santé”, au détriment de celles ayant le cheveu crépu, nous explique Lucrèce Zamba. Pour Sirine Liman, il est essentiel que le mouvement soit tolérant envers tous.tes : “Il y a notamment un tabou autour du fait de porter des mèches, des perruques etc.. Certains ont tendance à relier ça avec l’acceptation de soi. Je pense que c’est totalement faux. Certes, il y a des filles qui ont encore du mal à accepter leurs cheveux et y ont recours ; mais parfois, c’est juste un moyen de changer de tête”, martèle l’adolescente, aussi à l’aise avec ses cheveux naturels qu’avec des artifices capillaires.

Un avis que partage Lise de Cheveux Afro Culture : “Le concept du nappy n’était qu’un passage dans l’histoire de nos cheveux. C’est une construction sociale qu’on a utilisé comme un tremplin pour la revalorisation du cheveu afro. Ce que je trouve important dans le retour au naturel, ce n’est pas de dire que toutes les personnes noires afro-descendantes doivent avoir des cheveux naturels. Le but, c’est de faire comprendre aux femmes qu’elles sont libres et ont le choix de porter un cheveu afro, lisse, texturé ou bien une perruque. Le message à faire passer, c’est que tous nos cheveux sont valides et normaux.”

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